Versenkung... Montrer en filigranes mes souffrance

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Ofterdingen
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Versenkung... Montrer en filigranes mes souffrance

Message par Ofterdingen »

Bonsoir à tous,

Etant nouvelle sur ce forum, poster un texte m'apparaît comme étant le meilleur moyen de montrer en filigranes mes souffrances, sans tomber dans le pathos véritable.
Ce texte est récent.

« Médullaire ? Une méduse vivant dans l’air ? »

« L’expérience commune dans la vie commune comme toute expérience unitaire est une monomanie. » Bachelard.

— L’Art peut être une pédagogie douce à la réalité sauvagement pure de l’Au-delà. Ce que je reproche à l’ensemble de l’art moderne, c’est de n’entrevoir qu’à travers le prisme de subjectivité malade d’elle-même. Cela accentue le faux dualisme de l’Immanence et de la Transcendance, et renforce le sentiment de chute ontologique. Ce qu’est l’inverse même d’une démarche mystique. C’est parce que l’Art moderne a perdu ses outils universels et traditionnels permettant de décolorer l’implication du moi au sein de toute création, qu’il n’a généré que des dépressifs prenant la sublimation de leur mal de vivre pour Dieu. Je pense qu’il est sain de déposer son pinceau et de prier lorsqu’on a atteint dans sa tête et dans son cœur les limites fatales de l’Art.

Maximilien avait éjecté cette tirade artérielle alors que je peignais. Je le peignais. Sa peau crénelée et ses pupilles aux linceuls hérétiques semblaient avoir enfanté l’ensemble de son corps. Ses os coulaient sous son visage, ses cheveux comme sesmes s’accouplant tombaient sur son front. Il passait dans mes intestins comme une ombre douloureuse. Quand il fermait les yeux, j’étais l’anguille qui scrutait les sorties fermées et définitives de l’Enfer. J’étais sans hâte de me sentir fugitive.

— Arrête de parler, je n’arrive ni à reproduire tes cernes, ni à cerner tes clavicules.

La peinture me permettait d’avoir le sentiment d’ascension sur son corps.
Je dominais ses articulations. J’évulsais ses muscles en les clouant au pinceau. Il se taisait. Pour mieux déployer sa masturbation de nombril :
Il savait que j’avais besoin d’une Muse pour peindre, et que ce besoin, n’était rien d’autre que la négation même de mon talent, et la confirmation de mes faiblesses. Ailleurs, je ne trouverais que des peaux mortes.

Un heure plus tard, il ne put s’empêcher de faire claquer sa langue, prêt à sucer cette gorge mainte fois violée.

— Tu devrais délaisser la littérature, Claire. Tu ferais pâlir Madame Bovary et les rats. Tu as besoin de matière céleste explicite et non de te repaître du Pathos des artistes. L’Art est la nostalgie de Dieu, un réflexe altier de l’Homme, de la chute pour dépasser les murs peints à la M.... de la « réalité ». Cela reste néanmoins, une thérapie sans fin de drogués ignorant l’objet réel de leur quête de l’Absolu. Absolu, ce nom mondain et honteux de Dieu.

Il me regarda, fixement. « Triple trahison, ma chère, tu n’as pas bien cerné ma première côte ». Il troua trois fois la toile de lin tendue.
Je continuais, contournant les cratères. Avec Maximilien, le mensonge n’existait pas. Nous savions quels liens se tramaient. Il m’avait sauvé la vie, je me devais de porter nos deux croix. Lui, souffrait déjà pour le Christ.

Au gré du temps, je m’étais embourbée à force de soutenir nos croix. Mon péché unique était l’acceptation léonine, quotidienne de jouir des ulcères que M. me refourguait. Ses péchés fredonnaient en escadre. Une armée de montagnes qui dévalaient la pente, s’écrasant brutalement sur mes tempes.

Cet été, je me sentais étouffée par la moelle. Les cordes vocales sculptées à la hache, les cheveux tissés ressemblaient à des nœuds de marin usés, ma langue à une murène morte, mon vagin aux ravages de la Peste.
J’essayais de me remémorer le point sur lequel j’avais injecté ma dernière Plaie. Pont. Il était rogné par les cadenas badins. C’est sur ce pont que je rencontrai M. J’avais prié de pouvoir déposer, moi aussi, un cadenas. Il m’aborda.

— Ce pays d’employés de bureau, athées avec des piercings dans le nez et des tatouages maoris méritent d’avoir un président aussi burlesque que flamby : il a le symbolisme physique d’un pleutre, c’est parfait pour cette fin de cycle bercée par le Relativisme, le Saint-Cynisme des bobos et la mollesse spirituelle de la piétaille. Vous avez du feu ?

— Oui. Vous ne fumez pas, n’est-ce pas ?

Je regardais son visage carié par les résultats des élections. Un peu en retrait, je me lançai dans un fou-rire qui faisait mine de tenir debout.

— En effet, mais cela aurait pu être un point d’alliance. Alliance bien jaune, mais il faut bien débuter par quelque chose d’un tant soit peu … Restons en adéquation avec cette journée en détresse. Venez chez moi.

Le pont. Cadenassée à son appendice.

Il avait découvert ma sensiblerie, j’avais découvert sa fermeté. J’étais enfermée.

Je passais mes journées à courir dans les couloirs de mon enfermement, lui le célébrait sous couvert de m’avoir sauvé la vie.
La vie pulsait encore, mais en dehors de moi-même, en dehors de cette chambre, en dehors de mon désir de lécher ses moisissures.

Je savais à présent que s’il me persuadait de briser les pinceaux, je n’arriverais plus à tendre mes tendons. Je serais la termite camouflée, sourde, aveugle et muette. Je ne détournais pas mon attention de la peinture, elle était l’intermédiaire nécessaire et douloureux entre le bourreau aux baisers hérésiarques et la victime de ses faiblesses sans volonté véritable de se dépêtrer physiquement. M. faisait l’effet d’un Alizé fossoyeur, et malgré ses griffes, j’arrivais toujours happée pendant quelques secondes au point de fuite.

M. ne mettait jamais de musique. Je m’étais habituée au silence. Je ne connaissais que le son de sa voix, et les clapotis de l’eau frottant le robinet. Mon instinct qui me dictait de fuir ne m’était pas raison probante, la morale encore moins. J’étais avalée par la rhétorique inépuisable de M, faible de ses cheveux qui liaient le Ciel et l’Enfer. Quand je laissais mon instinct pérégriner, je me retrouvais tôt ou tard à envier les remous de l’extérieur, posée contre la fenêtre. J’enviais les nuages pèlerins, les briseurs de vitre, les incendies heureux.
Progressivement, je ne vivais plus pour Là-Bas. Je vivais pour Là-Haut. Je ne pouvais plus me comparer à qui que ce soit, la supériorité de Dieu de plus en plus irréfutable : je comparais donc chacun de mes cheveux, leur parlais, et quand les condisciples pleuraient, je les mordais en leur demandant d’être raisonnable. Je leur murmurais l’Ancien chant des deux amants, ils dépliaient leurs ailes. Certains naissaient, d’autres lançaient des toiles d’araignée.

— Entends-tu les serpents à sonnettes ? Maximilien?Entends-tu les serpents à sonnettes ?
Un jour, je serai transparence ! Un jour, tu, ils – les murs – ne verrez plus que mes veines. Veines grises trempées dans les deux mondes côtoyés.

Je le regardais, désolée, les mains jointes formant de grandes feuilles d’Acanthe. Quand son œil s’ouvrit, il avait la grâce des puits. Je vis de minuscules serpents mordre ses cils. Ils tombaient le long de son corps en crapahutant. Ses os qui à l’ordinaire rongeaient sa peau disparaissaient.
Je rougis, affamée d’émotions. Sa bave qui coulait était le liant entre ses cils morts et sa peau aride. Il ressemblait à un vieux cerf planté, signe au front, sur la route. Ses cornes cireuses poussaient, mon sein désireux, ses yeux recouverts de serpentins, mes persiennes de catin, son épaisseur qui devenait moins anguleuse et plus dégueulasse.
Mon pinceau se fit glaive, j’arrachai les traits formels de la toile, pour que l’intérieur puisse se proclamer Roi : M. imprégné de limaces, des déjections de Sir Bob, des balances déréglées, de crapauds, de castration. Il serait bientôt mort. Je me masturbais devant cette conjecture. Maillon bénit, maillon bénit.. mon front trempé, mes sueurs passées. J’assistais à sa mort, et je pouvais la vivre par la serrure créationniste.

Palpitations caverneuses, voyages diurnes, musiques criées, cadenas mâchés, couloirs du Là-Bas, passation de pouvoirs, chrysalide dévastée par la Renaissance, toiles d’araignées opaques sur lesquelles je marchais, la fille d’O me susurre des facéties, Mondo écrivit son nom sur mes pavés, la Dame Bovary me tendit ses étoffes, Et.

— Je regrette ta présence, Maximilien, amoureuse ou non, ta présence. Je regrette tout le Bien qui s’exprima cinq minutes par notre concorde. Toi, l’ivresse de ma bouche, de mon sexe, tu as laissé entrer en toi, ce qui est contraire à l’évangile. Ce n’est que parce que l’on ignore ou oublie la loi divine que l’on se permet de pécher. Dieu te jugerait, mais il est enfoui dans le sable. Il me reste une tendresse diffuse et feutrée comme une accolade d’ange. Mon âme t’envoie, à toi, pauvre pécheur, une balle, au centre de la tête. Comme un baiser mort doré.

J’étais libre selon la tradition. Jusqu’au suivant.
En toi au milieu est l’étincelle d’une autre lumière. L’étincelle du feu contraire.
Je la nomme charité. Je l’éveillerai. Je l’éveille déjà. Dans ce réveil ou cet éveil je me sauve enfin moi-même.

Hécate - Pierre Jean Jouve.
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