Difficultés pour avoir un diagnostic clair ?

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ami1
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Difficultés pour avoir un diagnostic clair ?

Message par ami1 »

Hello,

je me pose une question importante depuis pas mal de temps : est-ce que vous ne trouvez pas que c'est la galère pour avoir un diagnostic clair ? On me dit que je souffre de dépression avec anxiété généralisée.

J'ai dit que je supportais très mal les variations du moral assez brusques, souvent dans une même journée ("je vais aller mieux" à "je vais jamais m'en sortir") mais pas d'évolution dans le diagnostic. Pourtant j'ai entendu parlé de cyclothymie et ça y ressemble vachement tout de même :pense: . Le psy me dit que je me pose trop de questions , notamment sur mon traitement. OK, mais avec cette saloperie d'anxiété, je vois pas comment ne pas être inquiet et c'est pas lui qui souffre comme ça.

Si quelqu'un a un avis ou un témoignage, je serais heureux de pouvoir échanger car je suis vraiment perdu.
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Archaos
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Difficultés pour avoir un diagnostic clair ?

Message par Archaos »

Bonjour ami1,

je te mets des extraits d'articles, pour que tu aies une idée précise de la difficulté du diagnostic en psychiatrie, de son évolution et des enjeux qui y sont liés... , c'est un peu long ...


Psychiatrie : des experts trop liés à l’industrie
  • 13 05 2011

    LE SOUPÇON circulait depuis vingt ans dans le milieu psychiatrique. Mais la preuve vient d’en être administrée par une chercheuse américaine : la moitié des experts psychiatres qui ont participé à la rédaction du plus célèbre manuel de classification diagnostique des maladies mentales (le DSM4 *) sont payés par l’industrie pharmaceutique, qui fabrique justement les médicaments utiles dans ces maladies.

    Lisa Cosgrove, chercheuse à l’université du Massachusetts de Boston, a publié le 21 avril, dans la revue Psycho-therapy and Psychosomatics, le résultat d’une enquête très fouillée sur les liens des experts avec l’industrie : sur les 170 membres des groupes de travail ayant participé à 2171.jpgl’élaboration de ce manuel, 95 (soit 56%) ont une ou plusieurs attaches financières avec des firmes. Une enquête révélée jeudi dernier par le New York Times.Dans certains groupes, comme le panel sur les «troubles de l’humeur», ou le groupe «schizophrénie et autres maladies psychotiques», 100% des experts ont des liens financiers les attachant aux firmes. Depuis vingt ans, le DSM4 est l’objet de critiques renouvelées régulièrement d’une minorité active de psychiatres «classiques». Ceux-ci accusent l’American Psychiatric Association d’avoir fait disparaître la psychiatrie clinique «au profit de classifications, manifestement non plus basées sur le discours des patients sur leur souffrance, mais plutôt sur l’efficacité des médicaments», estime le Dr Jean-Louis Chassaing, psychiatre à Clermont-Ferrand. «Peu à peu, on a éliminé de ce classement toutes les entités difficiles, comme les formes déficitaires de schizophrénie, qui justement ne répondent pas aux médicaments», ajoute le Pr Edouard Zarifian (CHU de Caen)……

    Assez récemment, un jeune retraité d’un laboratoire pharmaceutique a expliqué à l’un de nos interlocuteurs que le concept «d’attaques de panique», qui est classé dans le DSM4, avait été spécifiquement élaboré par Donald Klein pour le laboratoire Upjohn qui allait mettre sur le marché le médicament Xanax. Les critiques et les exemples pleuvent : les psychoses maniaco-dépressives sont devenues dans le DSM4 des troubles bipolaires, censés être bien plus fréquents : chaque patient peut ainsi s’approprier ce diagnostic, pour réclamer un traitement à son médecin !

    Une bible influente

    Or le DSM4 est devenu une bible qui sert notamment lors des conférences de consensus sur les pathologies mentales : il influence donc profondément le mode de pensée, les décisions thérapeutiques et les stratégies de santé publique de la plupart des pays.

    Lisa Cosgrove a identifié les membres des panels puis recherché, dans les publications médicales, quels étaient les auteurs qui avaient fait des déclarations de conflits d’intérêt (les revues savantes réclament de plus en plus cette précaution minimale). Elle a également recherché dans des bases de données d’éventuelles participations à des travaux financés par l’industrie.

    La chercheuse et ses collègues ont établi que les liens financiers des membres des groupes du DSM4 appartiennent à des catégories très différentes : des simples honoraires aux salaires de consultants, en passant par des paiements en actions industrielles ; les psychiatres peuvent être au conseil d’administration d’une petite compagnie start-up liée à un géant de la pharmacie, ou directement membres payés d’un conseil scientifique d’une firme ; ou recevoir des crédits ou des contrats de recherche.

    Le Dr Michael First (Université de Columbia, New York), qui a coordonné le travail de tous les groupes, se récrie : «A aucun moment, à aucun niveau des discussions, l’influence des firmes n’a pu se manifester.» Il en veut pour preuve que les groupes doivent voter à l’unanimité pour passer au niveau supérieur d’intégration au manuel DSM4. Il faudrait donc, selon lui, aller contre le consensus du groupe pour qu’une «taupe» au service d’un industriel fasse valoir le point de vue de son maître. Mais l’argument tombe si les 170 experts ont intégré une vision de la psychiatrie biologique proche des intérêts industriels. Comme en semblent persuadés le psychiatre britannique David Healy (Université de Galles) ou le Pr Irwin Savodnik (Université de Californie) : ces deux «résistants» sont persuadés que le vocabulaire psychiatrique lui-même est défini par les laboratoires.

    * DSM4 : quatrième édition du Diagnostic and statistical manual of mental disorders.

    Source : lefigaro
Réflexions sur la question du diagnostic en psychiatrie
  • Dr Christophe Marx

    Le classement des maladies psychiatriques est très difficile.
    Car les mots ne veulent pas dire la même chose, suivant les langues et les traductions, suivant les cultures, et les cadres de référence des praticiens.
    L’analogie entre la maladie mentale et la maladie physique ne ” marche ” que momentanément : force est de constater que l’esprit ( la personnalité ? l’âme ? … ; ) ne se laisse pas aussi facilement décrire que le corps, et surtout que les évolutions, et enchaînements de causes et d’effets sont beaucoup moins systématiques.
    Le concept même de trouble mental s’oppose sémantiquement à la normalité mentale.
    Or, tout le monde s’accorde à récuser ce terme de normalité.
    Il est même classique de l’affubler systématiquement de guillemets graphiques ou de deux oreilles de lapins manuels si d’aventure on est amené dire ce ” gros mot “.
    Donc, si personne n’est ” normal “, personne n’a de ” trouble “…
    Et pourtant, ils souffrent ! Comment s’y repérer dans cet entrelacs médico-anthropologiquo-philosophique !

    La classification des troubles ( maladies ? symptômes ? syndromes ? …) mentaux est finalement fonction de présupposés qui orientent en sous-main la démarche scientifique de classement.

    Ces présupposés sont principalement :

    - le présupposé étiologique : les maladies seront classées en fonction de leur pathogénie ( substrat organique, névrose, psychose… )
    - le présupposé thérapeutique : les maladies seront classées en fonction de leur réceptivité aux traitements : les maladies incurables à ce jour seront moins analysées que celles qui répondent bien à la démarche thérapeutique du praticien. Les psychothérapeutes transactionnels par exemple, évoqueront d’autant plus volontiers le risque suicidaire qu’ils utilisent une méthode efficace de prévention ( fermeture des issues dramatiques de scénario )

    Pour sortir de ces ornières, qui n’aboutissent qu’à des querelles de chapelle, la tendance internationale récente ( vingt ans environ ) se concentre sur l’ aspect uniquement descriptif : le DSM = diagnostique et statistique des troubles mentaux.

    Cela a l’avantage de mettre tout le monde d’accord, et renvoie chacun à son interprétation pathogénique ou son choix thérapeutique.
    La rupture avec le fonctionnement médical classique est désormais consommée : en effet, la séquence sémiologie > diagnostic> traitement vole ici en éclat : le traitement ne sera plus fondé par l’interprétation diagnostique.

    La sémiologie ne sert ici qu’à étoffer le diagnostic, et les signes ne s’interpréteront pas globalement mais se contenteront de se juxtaposer, comme un patchwork.

    L’avantage consistera à ne pas étiqueter un malade, mais à décrire un fonctionnement à l’instant ” T ” dans un renoncement à tout enfermement pronostique. L’inconvénient de cette approche principalement destinée à permettre une communication entre praticiens, et à favoriser la recherche réside dans le fait qu’un praticien qui ne souhaite pas communiquer ni faire de recherche n’utilisera pas cette grille.
    Il se retrouvera seul avec son patient, et risque de reprendre tranquillement le sillon balisé de ses convictions en matière de pathogénie et de plan thérapeutique.

    Pour aller dans ce sens, il existe un fort courant ( porté entre autre par la psychanalyse ) qui encourage l’idée que chaque cas est particulier, que chaque traitement est unique, que chaque relation thérapeutique est à inventer au coup par coup ;
    La standardisation des êtres humains est donc évitée, mais c’est en fini de tout espoir scientifique de standardisation des protocoles thérapeutiques.
    Enfin l’évaluation du traitement est possible en médecine organique : y a-t-il guérison, restitutio ad integrum, consolidation, diminution du risque, amélioration des constantes, diminution des contraintes, disparition de la douleur ?

    L’évaluation du traitement psychiatrique sera minimale : va-t-elle se baser sur le témoignage du patient ? Mais s’il dit qu’il se sent mieux, ou moins bien… quel crédit apporter à ses paroles ?
    Va-t-elle se baser sur une ” adaptation ” sociale ? La soumission à une vie bien rangée, qui ne fait pas de vagues… est-ce vraiment un bon critère de guérison ?
    On se surprend à envisager que l’approche psychiatrique puisse essentiellement servir à réguler le fonctionnement social : aider à estimer la responsabilité d’un criminel, l’aptitude à diverses fonctions, ou la dangerosité potentielle….

    La thérapeutique psychiatrique se décline suivant deux approches :
    • La chimiothérapie, destinée

      à calmer ( tranquillisants, neuroleptiques )
      à stimuler( antidépresseur )
      à réguler ( lithium )
      a plus une visée symptomatique, et socialement régulatrice.

      La psychothérapie, n’a pas encore démontré scientifiquement sa pertinence, ses protocoles ne sont pas élaborés, interdisant toute reproductibilité qui serait un gage de son sérieux scientifique. Mais les psychothérapeutes veulent-ils être des scientifiques ?
      Ils semblent que bon nombre d’entre eux s’accommodent fort bien de ce flou artistique qui leur évite de rendre des comptes à la communauté médicale. Les rares enquêtes pratiquées en ce domaine doivent donc être encouragées et renouvelées !
      Quant à l’hospitalisation, destinée en médecine organique à intensifier les investigations diagnostiques et le traitement, elle ne représente en psychiatrie que le constat d’échec d’une société individualiste, ou ne sert qu’à éviter les violences prévisibles.
    Au total , les deux questions qui se posent sont :

    A- Qu’est-ce qu’un trouble mental ?

    Cela dépend des régions ( en Afrique, les hallucinations ne sont pas forcément pathologiques !) Cf. Tobie Nathan et son concept d’ethnopsychiatrie.
    Cela dépend des périodes : il y a vingt ans, l’homosexualité était classée dans les perversions.
    Cela dépend du cadre de référence : Faut-il rester avec un conjoint pervers et manipulateur quitte à s’enfoncer dans une souffrance profonde ?
    Existe-t-il des raisons valables pour se suicider ?

    B- Qui doit aider les personnes présentant des troubles mentaux ?

    Les médecins ? Seulement pour la chimiothérapie ? Les psychothérapeutes doivent-ils tous être médecins ?
    Les psychologues ? Mais leurs études ne les ont pas formé à la psychothérapie en tant que telle, et encore moins à prescrire.
    Les scientifiques ?
    Les ministres religieux ?
    Les parents ?
    Les acteurs sociaux ?
    Eux-mêmes ?
    Le temps qu’il fait ?
    Le temps qui passe ?
    Personne ?
    Dieu ?

Le diagnostic en psychiatrie, son évolution et ses enjeux actuels
  • Claire Gekiere, psychiatre de secteur dans le Nord-Isère


    Diagnostiquer n’est pas un acte désincarné (au moins deux personnes, et souvent beaucoup plus à l’hôpital s’y envisagent), ni un acte isolé d’un contexte social. Le diagnostic ne peut être réduit à « l’art d’identifier une maladie d’après ses symptômes ». (1)

    Un diagnostic c’est par exemple un ticket d’entrée pour des prestations ; le certificat pour le dossier MDPH [les sigles sont listés en fin de texte] comporte maintenant comme première case en haut à droite le code en CIM10.

    Petite mention au passage des questions de sous et sur –diagnostics, délibérés ou non (Kirk et Kutchin en parlent très bien dans « Aimez-vous le DSM ? », traduit en 1998 en français (2)), pratiques visant à éviter une stigmatisation ou bien à appuyer une demande. Par exemple, pratique très courante, mettre « dépression » ou « anxio-dépression » sur les arrêts de travail depuis que la mention du diagnostic y est obligatoire, alors que ces documents peuvent passer dans bien des mains. Pour ma part, j’indique « problèmes médico-psychologiques », mais j’envisage d’évoluer vers « PMP », vu l’aura scientifique des sigles, leur air sérieux … et mystérieux, comme « QSO », « question sans objet », que la légende attribue à Bonnafé.

    Un diagnostic, c’est aussi un étendard ou une étiquette.

    ** Pour les professionnels c’est un marqueur d’identité professionnelle, délimitant le champ d’intervention de ceux qui les posent (voir les débats sur le « diagnostic infirmier » ou sur la possibilité, pour les psychologues, notamment mais pas seulement dans le cas du RIMP de « poser », comme l’on dit, un diagnostic). Poser des diagnostics, décider de avec qui on les partage, tracer la frontière entre normaux et anormaux, c’est un des moyens de se faire exister professionnellement. (3). Privilégier une classification diagnostique qui se veut scientifique, qui « défend la psychiatrie en rendant le diagnostic, du moins en apparence, plus conforme à l’image de la rationalité technique » (2), accentue cette tendance. C’est le côté étendard.

    **Du côté des diagnostiqués, il s’agit avant tout d’une inclusion (se retrouver assigné à un groupe par l’existence d’une caractéristique commune partielle, sans rien partager d’autre, c’est faire partie d’un groupe d’inclusion ; c’est très différent d’un groupe d’appartenance, groupe qui dont les membres se sentent en relation et solidaires entre eux, et reçoivent une identité de l’appartenance à ce groupe (4)).

    C’est le côté étiquette. Il est intéressant de voir comment les usagers se sont emparés de la question du diagnostic psychiatrique. C’est assez récent, les patients et leurs familles se sont emparés des diagnostiques psychiatriques dans le même mouvement où ils se revendiquaient usagers. Beaucoup de psychiatres supportent mal ce terme « d’usager » qui renvoie brutalement au rôle de prestataire de service. Bon nombre pensent en outre que ce costume d’usager dévalue l’échange subjectif entre thérapeute et patient. C’est oublier, ou refuser, de distinguer entre l’individuel et le collectif (« mon patient » versus le lobby des usagers), et de comprendre que les usagers se définissent ainsi volontairement à un niveau collectif pour tenter de transformer un groupe d’inclusion en groupe d’appartenance autour d’un élément partiel qui, dès lors qu’il est revendiqué se transforme : l’usage, l’usage de l’appareil de soin, l’usage du psychiatre. Tentative de construire un collectif d’usagers, à partir d’une collection de cas traités.


    Comment se fabriquent ces diagnostics ? Je rappellerai d’abord l’étude de Rosenhan, en 1973, « Etre sain d’esprit dans des endroits pour aliénés » (5). Elle raconte comment huit volontaires sains d’esprit, demandant à être soignés pour avoir entendu des voix disant des mots comme « vide », « creux » et « étouffant », symptôme allégué uniquement à l’entrée, avaient passé entre sept et cinquante deux jours en hospitalisation psychiatrique, dans douze établissements différents à travers les USA, et étaient ressortis avec un diagnostic de « schizophrénie en rémission », après tous avoir été admis, sauf une fois, avec un diagnostic de schizophrénie. On ne peut pas ne pas diagnostiquer. Ces diagnostics se fabriquent en fonction du contexte social. Voir les nombreuses études sociologiques comme celle qui montre que, lorsque l’on a demandé à « des psychiatres de diagnostiquer l’état d’un individu hypothétique décrit comme atteint d’une série fixe de symptômes psychiatriques », la couleur et le sexe des psychiatres et des sujets imaginaires ont fait varier les résultats : « les sujets masculins noirs » obtenaient des diagnostics plus graves, et les psychiatres hommes « ont eu davantage tendance que leurs consoeurs à diagnostiquer les sujets féminins comme dépressifs ». (6)

    Malgré tout, beaucoup d’entre nous croient au diagnostic en psychiatrie comme à une réalité intangible, et donc pensent que la maladie mentale est un attribut en soi du malade ; pour la découvrir, il suffit da la rechercher dans l’individu isolé et de l’étiqueter ensuite. Or, penser un diagnostic comme une invention, construit dans l’interaction avec tel patient à un moment donné, ou encore considérer un diagnostic comme une narration, le baptême d’une expérience qui aurait pu se baptiser autrement, a beaucoup d’avantages, et notamment celui d’augmenter le nombre de choix possibles pour les protagonistes (7). C’est alors une sorte « d’objet flottant » (8) entre médecin et malade.

    Bizarrement, en ces temps de croyance au diagnostic scientifique, s’est manifesté un appui, pourtant improbable, à la subjectivité dans la clinique et le diagnostic psychiatrique. Ce soutien vient conjointement des ministères de la Santé et de l’Intérieur, qui, dans leur circulaire commune du 11 janvier 2010 sur les sorties d’essai pour les personnes en hospitalisation d’office (9), distingue l’avis émanant du psychiatre et les « éléments objectifs » qui doivent l’accompagner et qui relèvent du directeur de l’hôpital. De plus, ils préfèrent l’avis du psychiatre traitant ! Au passage, une deuxième bonne nouvelle dans ce texte sécuritaire : les « casiers psychiatriques » semblent ne pas exister puisque les directeurs sont chargés de combler cette lacune…


    J’en viens maintenant à la valeur plus directement marchande du diagnostic. Le diagnostic psychiatrique est devenu un produit de consommation hospitalier. Depuis janvier 2007 nous avons, comme psychiatre de secteur, l’obligation de diagnostiquer pour satisfaire aux exigences du RIMP (10), et de le faire dans un système unique et uniformisé, dès le premier contact d’une personne avec notre système de soins. Il s’agit dorénavant d’une production industrielle de diagnostics, à flux tendus, ce qui nécessite un diagnostic idéologiquement compatible : fabricable rapidement, par des intervenants interchangeables, et comparables à ceux produits par les autres spécialités médicales (11).

    Peu importe semble-t-il que l’on ne puisse corréler le moindre coût de prise en charge à un diagnostic psychiatrique, ou que cela produise des dégâts collatéraux massifs pour les patients ou les soignants : un fichage généralisé en psychiatrie pour les patients, et un attaque du sens du travail pour les soignants (12).


    Vous savez qu’il est toujours question de fabriquer l’équivalent d’une T2A pour la psychiatrie, la VAP (13). Cela, nous explique-t-on, est indispensable puisque, je résume, c’est l’activité des établissements de santé qui génère leur budget, comme dans une entreprise la vente des produits alimente la caisse. Le diagnostic a donc maintenant une valeur marchande. Le guide méthodologique précise que « le diagnostic principal … est celui qui a mobilisé l’essentiel de l’effort de soins pendant la durée de la séquence », nous soignons donc bien des diagnostics.
    Ces diagnostics doivent être codés en CIM10, en routine, parmi de très nombreuses autres données, dont certaines toutes aussi sensibles comme le « mode de séjour légal » (hospitalisation libre ou internement) ou le « nombre de jours d’isolement thérapeutique ». L’impératif est d’accumuler des données, listant des caractéristiques individuelles, le tout exigé « en temps réel ».

    Ainsi évolue la notion d’information, en empilement de données. L’information n’est plus ce qui se construit dans l’échange et prend sens dans une mise en récit, une différence qui fait la différence (14), une mise en forme du réel qui en transforme la représentation. Une information c’est ce qui est transmis, voire même ce qui est transmissible. Au passage, tout non-dit se transforme en secret suspect. Ainsi adviendra la T2A, calculée à partir d’un empilement de données que l’on décrètera significatives du fait même de leur accumulation.
    Compter, c’est la nouvelle façon de raconter les choses, sans auteur revendiqué du récit.

    Dans les services de psychiatrie, il s’agit donc dorénavant d’une production industrielle de diagnostics, à laquelle on ne peut échapper même quand on résiste en refusant de coder un diagnostic puisque cela revient à produire quand même un « diagnostic non renseigné » qui alimente tout aussi bien la machine.


    Je n’hésite plus maintenant, à propos du recueil des données en psychiatrie, dont le diagnostic psychiatrique est un élément symbolique fort, à parler de fichage (12). En effet, depuis quelques années les fichiers sur les données personnelles croissent en nombre et en taille. Trois sont plus célèbres que d’autres, de part les inquiétudes et la mobilisation qu’ils soulèvent : STIC (système de traitement des infractions constatées), EDVIGE (retoqué mais revenu) et Base-élèves contre lequel des plaintes de parents sont en cours (15).

    La psychiatrie n’est pas un isolat social. Or, avec le recueil de données, et le refus d’une anonymisation à la source de celui-ci, nous contribuons à produire dans nos hôpitaux de grands fichiers de données nominatives sensibles. La plupart des fichiers ces dernières années voient leurs droits d’accès étendus, et le droit à l’oubli négligé. Que deviendront demain les fichiers psychiatriques ?


    Parmi les dégâts collatéraux, j’ai évoqué l’attaque du sens du travail. Je passe, même si c’est important, sur le temps à consacrer à ce recueil, détourné du temps soignant. J’insiste sur l’imposition d’un nouveau paradigme dans le soin, avec la production massive, à flux tendu, de diagnostics en CIM10, classification harmonisée avec le DSM IV (16) : comme ces diagnostics sont bâtis sur des comportements observables et rejettent au départ toute construction psychopathologique et toute intersubjectivité, ils suggèrent « sans faire de théorie que les symptômes sont des entités naturelles biologiques » (17). Donc un modèle organiciste causaliste, qui sous-entend l’adhésion au moins implicite à une théorie causaliste et réductrice (18) qui implique obligatoirement de penser le malade mental comme catégoriellement différent de soi. Cela implique aussi une collecte inaugurale et immédiate, fouillée et intrusive et signifie d’emblée à la personne que le plus important est de s’occuper de son identité certes, mais de son identité « idem », sa « mêmeté » (au sens de Ricoeur) à laquelle revoie la notion de carte d’identité ou d’identifiant permanent, c'est-à-dire ses éléments fixes et objectivables, quelque chose qui a plus à voir avec les empreintes digitales qu’avec la mise en récit, l’identité « ipse », celle que chacun d’entre nous maintient, même en changeant, à travers son histoire.


    Dans certains établissements le niveau de remplissage du codage des diagnostics a déjà été retenu comme indicateur pour l’intéressement des pôles.

    Le RIMP de chaque établissement alimente l’ATIH, et est déjà source de financement à la marge, les « bons élèves » étant financièrement récompensés quand les données sont rendues à temps par les établissements hospitaliers.
    Dernière innovation : les données issues du RIMP sont devenues un produit dérivé. Notre consultant pour notre projet d’établissement nous a annoncé qu’il pouvait nous faire bénéficier de nouvelles sources d’information pour décrire ce qu’il a d’abord appelé « analyse concurrentielle » et qu’il a du requalifier à notre demande en analyse comparative. En effet, depuis janvier semble-t-il, il est possible d’acheter les données issues du RIMP, le recueil de données comme produit dérivé, encore un usage marchand du diagnostic.


    Nous pouvons nous demander si la façon dont nous nous accommodons de ces pratiques n’est pas liée à au moins deux phénomènes, au-delà de l’intériorisation déjà très poussée de la nécessité d’une gestion marchande des services publics : l’extension du domaine du trouble (ou la psychiatrisation de problèmes divers) et l’absence de prise de conscience de l’influence des laboratoires pharmacologiques sur nos pratiques, les deux favorisant l’utilisation de systèmes diagnostiques à valeur marchande.
    • *L’extension du domaine du trouble. L’emploi du terme « trouble », mental, de la personnalité, du comportement, cet emploi n’est pas nouveau mais tend à devenir hégémonique. Cela convient à une psychiatrie réduite à une spécialité médicale comme une autre, avec une causalité organique (voir ce que disait hier P.Bercherie).
      « Voir le cerveau penser n’est qu’une métaphore poétique » (19) écrivait Edouard Zarifian ; c’est une réalité organique objectivable, répondent les organicistes. Les troubles sont des attributs de l’individu isolés de son contexte. Mais ils constituent aussi une troupe hétéroclite, recrutée sans limite, qui aspirent à échapper à leur origine : ils ont été inclus sur leur simple allure de comportement, et briguent le grade de maladie après avoir fait leurs classes. Nous voyons de plus en plus à l’œuvre l’équation un comportement problématique= un trouble du comportement= un symptôme ou une maladie psychiatrique à soigner pour normaliser.

      Il s’agit à la fois de la médicalisation de l’existence, de l’invention des maladies, mais aussi de la fonction attrape-tout du « trouble du comportement » avec « la catégorie du sujet anormal dont les actions sont réputées pathologiques sans relever d’une maladie proprement dite » comme le formule Olivier Doron (20).

      Cela produit par exemple la justification de la loi de rétention de sûreté (25 février 2008), où les psychiatres doivent apprécier « une particulière dangerosité caractérisée par le risque particulièrement élevé de commettre à nouveau une de ces infractions » en raison de « troubles graves de la personnalité ». A venir donc de savants distingo entre dangerosité et particulière dangerosité, et des développements acrobatiques sur les troubles de la personnalité et leur gravité.

    • *L’influence des laboratoires pharmaceutiques. Le marketing pharmaceutique concourre activement à l’invention de nouvelles maladies et à l’élargissement de celles déjà existantes. Un des exemples les plus connus est celui de la timidité transformée en phobie sociale (21). Actuellement l’extension sans fin du champ des troubles bipolaires (22) permet la prescription de neuroleptiques et de régulateurs de l’humeur à des gens vaguement dysphoriques ou tout simplement malheureux. Un des domaines qui m’inquiète particulièrement est celui de la prévention des troubles schizophréniques, boulevard possible pour la prescription de neuroleptiques aux adolescents. Plus drôle : l’essai d’implantation du syndrome dysphorique pré-menstruel, énorme marché féminin potentiel (23).

      L’influence du marketing sur nos conduites est bien documentée. Les médecins déclarent d’ailleurs qu’ils pensent que leurs confrères, mais pas eux-mêmes, sont influencés.
    SIGLES

    MDPH : maison départementale des personnes handicapées (ex COTOREP)
    CIM 10 : classification internationale de maladies, dixième révision, partie classification internationale des troubles mentaux et des troubles du comportement, descriptions cliniques et directives pour le diagnostic, OMS, publié par Masson en 1993
    RIMP : recueil d’information médicalisée en psychiatrie (a succédé au PMSI expérimenté en psychiatrie)
    T2A : tarification à l’activité
    VAP : valorisation de l’activité en psychiatrie
    ATIH : agence technique de l’information hospitalière




    BIBLIOGRAPHIE

    1- «diagnostic », Dictionnaire historique de la langue française, Le Robert, 1992
    2-Kirk S. et Kutchins H. « Aimez-vous le DSM ? Le triomphe de la psychiatrie américaine », collection Les Empêcheurs de penser en rond, Institut Synthélabo, 1998 pour la traduction française
    ***3-Neuburger R. «Le thérapeute familial, un passeur de frontières ? », la revue française de psychiatrie, numéro spécial sur les thérapies familiales
    4-Neuburger R. « Les rituels familiaux », et notamment chap. II « Rituels d’appartenance et rituels de soumission », Petite Bibliothèque Payot, n°597, 2006
    5-Rosenhan D.L. « Etre sain dans un environnement malade » (1973), repris dans « L’invention de la réalité. Contributions au constructivisme », dirigé par P.WATZLAWICK, SEUIL, 1988
    6-Phelan Jo C., Link B.G. « Facteurs sociaux intervenant dans la qualification des comportements déviants », dans « Santé mentale et société », n°899, avril 2004, dossier réalisé par Anne M.Lovell, problèmes politiques et sociaux, La documentation française
    7-Von Foerster H. « La construction d’une réalité » voir 5
    8- Caillé P., Rey Y. « Les objets flottants- méthodes d’entretiens systémiques », Fabert, 2004
    9-« Modalités d’application de l’article 3211-11 du code de la santé publique. Hospitalisation d’office. Sorties d’essai », 11 janvier 2010, NOR IOCK1000541C
    10-versions successives du guide officialisé en annexe de l’arrêté du 26 juin 2006 relatif au recueil et au traitement des données médicales des établissements de santé publics ou privés ayant une activité en psychiatrie et à la transmission d’informations issues de ce traitement dans les conditions définies aux articles L6113-7 et L6113-8 du code de la santé publique, JO n°156 du 7 juillet 2006 p10217, texte n°56
    11-Gekiere C. « La passion classificatrice en psychiatrie », La lettre de psychiatrie française, p13-17, n°164, avril 2007
    12-Gekiere C. « Langue psychiatrique, langue politique », intervention au colloque du CEFA « Les perversions langagières », Paris, 4 et 5 décembre 2009, disponible sur le site uspsy.fr
    13-Odier B. « Du PMSI à la T2A, de la fiche par patient au RIMPsy : la grande peur de la VAP », L’Information Psychiatrique, 2007, 83 :539-49
    14-Bateson G. « La nature et la pensée », Seuil, 1984
    15-« Tous surveillés, tous surveillants ? » dossier de la revue Hommes et Libertés, n°146, avril-mai-juin 2009
    16-DSM-IV, critères diagnostiques, Masson, 1996
    17-Maleval JC. « DSM, un manuel pour quelle science ? », revue Raison Présente, dossier « de la psychiatrie française en 2003 », n°144, 4° trimestre 2002, p37-55
    18-Labouret O. « La dérive idéologique de la psychiatrie », Erès, 2008
    19-Zarifian E. cité par C.Vidal dans « Ordre moral, ordre cérébral ? », dans « Enfants turbulents :l’enfer est-il pavé de bonnes préventions ? », Erès, 2008
    20-Doron O. argument du séminaire « prévention des risques, gouvernement de la dangerosité entre psychiatrie et délinquance » au centre Georges Canguilhem http://centrecanguilhem.net
    21-Lane C. « Comment la psychiatrie et l’industrie pharmaceutique ont médicalisé nos émotions », Flammarion, Bibliothèque des savoirs, 2009 pour l’édition française
    22-Healy D. « les médicaments psychiatriques démystifiés », Elsevier Masson, 2009
    23-Mintzes B. « La publicité directe au public pour les médicaments : une pilule pour chaque maladie ou une maladie pour chaque pilule ? », La revue Prescrire, mai 2006, tome 26, n°272, p391-393
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lola1
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Difficultés pour avoir un diagnostic clair ?

Message par lola1 »

J'ai regardé un reportage de 8 petites vidéos postées sur CCDH Bretagne, Commission des citoyens pour les droits des Hommes " Profits macabres, l'histoire cachée des drogues psychiatriques .

Bon faut peut être relativiser mais moi après 2 mois et demi d'hospi complète et des essais en pagaille, 12 kilos de pris, je suis de nouveau au plus bas et mes médocs ne marchent pas ... j' envisage même des dérivés d'amphétamines pour l'euphorie ou la mort à nouveau . Je dors mais je suis de plus en plus crevée à chaque réveil, je tremble, je tiens plus les objets dans mes mains, déprimées et complètement perdue avec un cœur et des contractions musculaires qui font super mal ... et on est en été, changement de régions et plus de psychiatre... Vous tous les médocs qui se trouve à coter de moi je sais que je me raterais pas mais je veux tenir encore pour 3 personnes seulement ... et ma passion, mon travail très physique me dépite à cause du levé alors que d'habitude c'était avec l'alcool mon seule remède .

Et vous ils vous aident vraiment les médocs ?
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Zooey
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Enregistré le : dimanche 13 juillet 2014 13:15
Localisation : à l'ouest du Pecos

Difficultés pour avoir un diagnostic clair ?

Message par Zooey »

Une émission radio très claire sur le manuel de diagnostique psychiatrique DSM V, qui fait bien l'état des choses, critique mais sans dramatiser, et surtout permet de RELATIVISER.

France culture
Aux Frontière de la Folie : 1/4 Les Paradoxes de la psychiatrie américaine

Avec en invités
Pierre-Henri Castel, qui est historien de la médecine et psychanalyste, directeur de recherche au CNRS.
Et l'itv d'un des experts qui a participé à l'écriture du DSM et qui maintenant le critique.

P-H Castel explique le contexte social américain qui a vu naître les DSM, qui n'est pas le même chez nous; ce qu'apporte cet outil diagnostique y compris sur le plan mondial (la reconnaissance de la dépression, du burn-out par exemple au Japon); que c'est un modèle utilisé aux USA et pas en Europe; et combien le diagnostique reste en effet difficile à poser.
Ce qui me plaît dans le discours de Castel, c'est qu'il analyse cela du point de vue de la société où le DSM est né, c'est à dire la société américaine avec son système de santé particulier, et du point de vue historique, où les différentes approches ont évolué et continuent d'évoluer, des approches qui restent un objet de la recherche et qui sont donc toujours remises en question pour avancer.

L'émission est facile à comprendre, rien de trop scientifique.
Cela reprend, en moins détaillé, certaines choses dans les articles cités par Archaos plus haut
(si vous avez la flemme ou du mal à tout lire, peut être qu'écouter vous sera plus facile).
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ami1
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Enregistré le : jeudi 08 mars 2012 9:43

Difficultés pour avoir un diagnostic clair ?

Message par ami1 »

Bon ben moi mon nouveau psychiatre pense que je pourrais être bipolaire, c'est rassurant !
Mais il me semble être vraiment quelqu'un de compétent, à vérifier car je ne l'ai vu qu'une fois.

Voir les dernières pages de mon salon pour plus de détails mais ça fait mal d'entendre ça.
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