La honte, selon Serge Tisseron

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Mélina
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La honte, selon Serge Tisseron

Message par Mélina »

Parce que c'est une notion qui m'a personnelle beaucoup apporté, et à la demande d'explications de la part de Lilith, voici une petite tentative de synthèse sur la honte, telle que la décrit Serge Tisseron, psychiatre et psychanalyste, notamment dans le bouquin "Vérité et mensonges de nos émotions", mais il a écrit deux bouquins sur ce sujet en particulier. Je ne saurais que trop renvoyer chacun à ses bouquins si ce sujet vous intéresse, car ma synthèse sera forcément maladroite, étant donné que je ne suis pas psy, et subjective.

Selon Serge Tisseron, dès les premiers âges, les hommes mettent instinctivement en place un "partenaire intérieur", un interlocuteur intériorisé, avec lequel ils ont un dialogue émotionnel. Ce partenaire valide en quelque sorte les émotions que chacun ressent. Le psychiatre donne l'exemple du bébé qui sourit quand il est seul: il sourit en fait à sa mère qu'il imagine à l'intérieur de lui. Selon lui, "la capacité de percevoir une émotion [que l'on ressent] suppose d'avoir installé à l'intérieur de soi un partenaire privilégié qui réponde par une émotion semblable".

Par ailleurs, chacun de nous attend que chaque émotion que nous avons perçu en nous soit confirmée par l'extérieur.
Il peut donc y avoir deux échanges instaurés pour une émotion: un à l'intérieur et un à l'extérieur. Le premier est nécessaire pour reconnaître et valider l'émotion. Ce n'est qu'après ce premier dialogue que celui avec l'extérieur pourra avoir lieu.
Plus les interlocuteurs extérieurs partagent, comprennent ou reconnaissent nos émotions, et plus l' "interlocuteur intérieur" est renforcé. C'est grâce à ce double dialogue que nous "construisons" nos identités depuis notre naissance.

L'expérience de la honte nous plonge immédiatement dans une sensation de confusion, comme une dissolution de l'identité.
Cette confusion nous permet de nous protéger dans un premier temps. Elle "coupe" notre "dialogue intérieur" avec ce "partenaire intérieur" qui a validé, laissé faire, une émotion, un comportement inadéquats, non accepté, ou non acceptable.
La honte consiste donc en un rejet total, complet de l'émotion ou du comportement que l'on a adopté, et partant, un rejet total de ce "partenaire intérieur" qui a laissé faire.
La honte est aussi le sentiment que l'on ressent au moment où l'on vit le rejet par les autres (qu'il soit réel ou imaginé).
Dans le même mouvement, la sensation de honte coupe l'échange d'émotion avec autrui et elle dissout notre sentiment d'appartenance à un groupe.

La sensation de honte est à la fois un effondrement intérieur, une interruption du dialogue avec soi-même, mais aussi une exclusion totale vis à vis des autres.

C'est pourquoi, selon Serge Tisseron, la honte est une "expérience catastrophique parce qu'elle menace en même temps les trois piliers sur lesquels est bâtie notre identité": l'estime de soi, l'affection qui nous lie aux autres, et notre sentiment d'appartenance à un groupe.

La culpabilité marquerait au contraire une appartenance retrouvée. Dans la culpabilité, l'estime de soi est abîmée, nous ne partageons pas avec les autres l'émotion ou le comportement qui nous a fait nous sentir coupable. Par contre, la culpabilité, parce qu'elle est toujours ressentie par rapport aux autres, et dans le but d'être à nouveau reconnu par les autres, repose toujours un sentiment d'appartenance à un groupe. Sans sentiment d'appartenance à un groupe, aucun de nous ne se sentirait coupable.

Par ailleurs, le psychiatre explique que la culpabilité consiste toujours en un mouvement, bien qu'inabouti, vers l'acceptation du sentiment, de l'émotion, du comportement qui nous a rendu coupable. Dans la culpabilité, nous reconnaissons l'émotion ou le comportement qui nous a rendu coupable, nous acceptons son existence. C'est un lien réétabli avec nous-mêmes, avec le "partenaire intérieur", bien que ce lien soit problématique.

C'est pourquoi le psychiatre dit que souvent la culpabilité est en général un chemin vers la résolution de la sensation de honte. Mais beaucoup de personnes dissimulent ce premier moment de honte derrière le sentiment de culpabilité, ils occultent ce moment premier de honte, pour ne considérer que la culpabilité qui lui a fait suite.
Souvent, le premier moment de honte est enfermé, occulté, voire oublié.

Tout simplement parce que la honte est de l'ordre de l'insupportable. Pour preuve, ce moment de confusion, de dissolution du sentiment d'identité, dans lequel le psychisme plonge afin d'éviter d'être détruit. La honte est à la fois le sentiment social le plus insupportable puisqu'il est le seul à dissoudre notre identité et à nous isoler entièrement des autres de façon instantanée. Il est aussi le seul à dissoudre instantanément toutes les autres émotions.

Notre identité repose sur les échanges émotionnels intérieur et avec l'extérieur. Par sa nature, la honte est insupportable et incommunicable.

Pour notre psychisme, pour son intégrité et sa survie, il vaut mieux être coupable que honteux.
Diana

La honte, selon Serge Tisseron

Message par Diana »

C'est intéressant, même pour moi qui ne suis pas du tout une pro de l'analyse :smile:
A lire attentivement, en tout cas. Très vrai.
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lilith
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Enregistré le : jeudi 13 décembre 2007 16:30

La honte, selon Serge Tisseron

Message par lilith »

merci beaucoup pour ce travail d'explication...

je vois bien la dissociation .... de soit et des autres ... se sentiment de rejet auto-infligé finalement.

je pense que de tel forum permettent de progresser dans notre reflexion et aussi dans l'acceptation d'un sentiment d'appartenance à un groupe... :wink2:

un premier pas vers la culpabilité ? je ne sais pas.

en tout cas merci pour la matière a relfexion ! :offre:
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