- Veuillez patienter quelques minutes, Mr ******* va vous recevoir.
- D'accord merci.
La salle d'attente est pleine à craquer. A votre gauche, deux petits garçons érigent une magnifique tour grâce à un jeu de construction. A droite, un papa s'énerve suite à l'impatience de son enfant, tandis qu'une file de petites filles se forme pour demander feuilles de dessin et feutres à la secrétaire. Un jeune adulte passe le seuil de la porte. La pile de cubes s'effondre soudain dans un vacarme assourdissant et provoque en vous un déclic.
Vous vous demandez... : "Mais qu'est ce que je fais là ?"
Cette question angoissante est l'occasion de repenser à votre cheminement, à ce qui fait que vous êtes là, aujourd'hui, dans cette salle d'attente.
Vos pensées vous ramènent d'abord cinq mois en arrière. Vous vous étiez décidée à prendre rendez-vous avec "un psy". La prise du premier rendez-vous fut laborieuse. Vous vous rappelez du " Bonjour, euh, je euh voudrais, ..euh.. prendre un..euh..un rendez vous !"
Et un jour, alors que la flamme de l'espoir était éteindre depuis déjà quelques temps, une lettre. Un rendez-vous est enfin fixé, comme par hasard le jour de votre anniversaire. Vous vous sentez renaître, et c'est le cas de le dire !
Premier rendez-vous, et déjà il est en retard. Vous lui accordez encore cinq minutes. L'envie de partir se fait de plus en plus présente. Mais non : ça fait cinq mois que vous attendez ce rendez-vous, vous n'allez pas craquer à cinq minutes de la ligne d'arrivée ! (ou de départ plutôt!)
Avant de prendre la décision d'aller "voir un psy", vous avez littéralement casté tous les prétendants : un filtre digne des plus grandes universités. Vous vouliez un homme, très vieux et très moche, afin de ne pas tomber dans le gouffre du transfert. Ainsi vous vous dites que non, on ne vous y prendra pas. Et bien c'est raté : au bout de trois séances, votre psy était déjà devenu l'homme le plus sexy de la planète.
Il y a alors de quoi se poser la question suivante :" Dans quoi me suis-je encore embarquée ?" Vous voulez reculer, mais c'est trop tard, le transfert est bien là et a d'ores déjà refermé ses griffes sur vous. Vous vous dites que VOUS ne devez pas LE laisser tomber maintenant. Projection. C'est plutôt VOUS qui ne voulez pas qu'IL vous laisse tomber maintenant... Ah les joies de la thérapie…
Récemment, vous avez appris son prénom. C'est marrant, un psy ça a un prénom. Vous venez de vous rendre compte que le psy est un homme comme les autres : comme tout le monde il va aux toilettes, comme tout le monde il a besoin de remplir son estomac, et comme tout le monde, il a eu un doudou quand il était petit !
C'est curieux comme certaines personnes voient les autres comme des extraterrestres. C'était pareil avec les instits durant votre enfance. Votre petit voisin avait l'habitude de vous poser des questions du type : " tu crois que la maîtresse elle a un mari ?" ou " tu crois que la maîtresse elle a déjà fait du vélo ?"
Ce ne sont pas des questions idiotes. Avec les psys et les instits, il n'y a jamais rien d'évident.
Rencontrer son psy dans la rue c'est le traumatisme.
Jeudi dernier, vous partez de chez vous un peu en avance, et passez comme à votre habitude devant la petite école de votre quartier pour aller à votre séance. Et qui voyez vous ? Votre psy. Une petite fille est en train de lui parler. Vous passez en vitesse mais avez tout de même le temps d'entendre ce qu'elle dit : " Ah, c'est vous le papa d'Anna, je vous reconnais, vous étiez déguisé en cow boy pour le carnaval !"
Vous imaginez votre psy, santiags aux pieds et arborant un magnifique chapeau de cow boy, soufflant dans son revolver. La traditionnelle musique western grinçante vient couronner le tout. Vision traumatique.
Et en plus sa fille s'appelle Anna...
Vous en savez trop, et vous ne voulez plus rien savoir !
Bon, pour le casting c'est réussi, du moins vous le croyiez, mais vous ne vous attendiez pas à ça : il ne parle pas. Et vous pas plus que lui d'ailleurs.
Au début il était bien sympa avec ses "qu'est ce qui vous amène ici ?" et ses " qu'est ce qui vous fait souffrir en ce moment ?" Mais en cours de route il a perdu sa langue. En effet au fil des séances, son nombre de mot par phrase a considérablement chuté : vous appelez ça " l'implosion lexicale" par opposition à " l'explosion lexicale" des jeunes enfants. Au début vous vous êtes même inquiétée pour lui. Ce problème semblait chronique.
Les débuts de séances ressemblaient à ça :
- Bonjour
- Bonjour
* se serrent la main*
* s'installent *
- Alors...?
- ...
* cinq minutes plus tard *
- Je vous écoute.
- ...
* dix échanges de regards plus tard *
- Allez-y hein..
- Oui oui.
* trois tours de trotteuse plus tard *
- On y va ?
- Oui
- Bon, alors c'est parti hein..
- ...
* et enfin... *
- Qu'est ce qui vous passe par l'esprit là ?
Ca y est, il l'a posée, la VRAIE question. Vous êtes d'accord pour parler... pourvu qu'on vous pose des questions !
Ce qui vous intrigue le plus, c'est quand il écrit...alors que vous ne parlez même pas... A part faire sa liste des courses, vous n'arrivez pas à imaginer ce qu'il peut écrire d'autre vu que vous n'avez pas pipé mot de la séance. Vous jetez un coup d'oeil furtif à sa feuille, mais malgré vos douze dixièmes à chaque oeil vous n'arrivez pas à décrypter. Vous aimeriez zoomer sur sa feuille comme le peut un aigle sur sa proie. Mais quand bien même cela serait possible, il y aurait encore d'autres obstacles à surmonter :
1) il écrit en pattes de mouche.
2) la feuille est à l'envers.
Dans la salle, vous regardez tout. Mais les murs sont plutôt pauvres. Vous avez donc pris l'habitude de regarder les chaussures de votre psy. Vous les connaissez toutes maintenant : van's, mocassins, basket, un style très varié (et même santiags... mais là, c'est votre imagination qui vous jour des tours cf. séquelle de la scène de la sortie d'école)
Vous avez lu que les psys accordaient une importance particulière aux rêves. Parait-il que le rêve correspond à l'accomplissement d'un désir, et d'un désir sexuel qui plus est. Vous vous demandez bien pourquoi. L'autre jour vous avez rêvé que vous mettiez des fleurs dans un vase, et vous ne voyez rien de sexuel là dedans !
La secrétaire vous tire enfin de vos pensées.
- Mademoiselle, Mr ******* vous attend en salle 12.
Vous montez les escaliers.
- Bonjour
- Bonjour
* s'installe*
* se serrent la main*
- Alors...?