Je voudrais parler d'un problème bien commun à tous ceux qui subissent une dépression, mais qui chez moi dure depuis plusieurs années, à savoir la perte d'émotions. J'en parle avec une amie depuis un bon bout de temps, quand un jour elle a essayé de m'expliquer ce qu'était la joie. Je ne me rappelle plus de ses mots exacts, mais voici la définition qu'en donne Wikipédia:
" La joie est une émotion ou un sentiment de satisfaction spirituelle, plus ou moins durable, qui emplit la totalité de la conscience. Elle se rapproche de ce qui forme le bonheur. Elle se distingue des satisfactions liées au corps (les plaisirs), qui n'affectent qu'une partie de la conscience."
Et là j'ai envie de dire: mais qu'est-ce que c'est que ça......?
J'ai 26 ans et je ne me rappelle pas avoir connu quelque chose de comparable, aussi loin que j'essaye de remonter. A force de discuter avec cette amie (qui elle est HPI et est sortie au bout de plusieurs années de lutte d'une dépression qu'elle avait eu de ses 7 à ses 17 ans, et est donc bien placée pour savoir de quoi elle parle), j'ai pris conscience de certaines choses chez moi qui ne sont pas "normales" chez un individu standard en bonne santé mentale et physique. Ce qui m'amène à développer un peu:
- Je suis capable de ressentir la douleur physique: une entorse, une piqûre, une brûlure, la sensation de faim...
- Je suis également capable de ressentir un certain plaisir physique: les chatouilles causées par une fourmi montant sur mon bras, de très légers effleurements sur mon dos peuvent me faire frissonner...
Physiquement, je n'ai donc pas tout perdu, hormis une certaine lenteur qui me colle à la peau depuis mon adolescence (je ne pourrais pas travailler chez Mc Do à moins d'y laisser un bras par exemple...), une certaine fatigue et démotivation, le tout étant lié.
Par contre je n'arrive pas et il ne me semble pas être arrivée depuis a minima le début de mon adolescence, à:
- Me sentir affectée par les problèmes des autres. L'amie dont je parlais plus haut doit passer un week-end dans sa famille problématique, ce qui la déprime au vu de l'environnement toxique auquel elle va être confronté? Ça ne trouve aucun écho en moi, mais je fais semblant de me sentir concernée. Elle risque de partir dans les DOM-TOM pour enfin avoir un boulot, à des milliers de kilomètres de la France et je ne la verrai plus pendant des mois? Ah...Hé bien tant pis, du moment que j'aurai une présence à côté de moi la sienne ne me manquera pas. Et des exemples comme ça où je fais semblant que ça m'affecte, j'en ai à la pelle et qui remontent à aussi loin que je me souvienne.
- Tomber amoureuse. La seule fois où ça m'est arrivé, j'avais 11 ans. En ce moment je fréquente un garçon gentil, même s'il est atteint d'une schizophrénie lui donnant souvent l'air absent et peu démonstratif ou vif. On n'est pas "officiellement" ensemble, mais c'est tout comme, et lui aimerait qu'on le soit (même si comme à son habitude, il n'a pas déployé une force de conviction à ébranler les montagnes dans son affirmation). Hé bien je n'ai pas de sentiments. Je l'aime bien. Les caresses, les câlins, l'attention de l'autre, tout cela me procure une sensation un peu agréable, suffisamment pour que je continue - n'ayant par ailleurs rien de mieux à faire de ma vie pour l'instant. Mais en aucun cas ça ne va taper plus profond. Et ça a été comme ça avec tous les hommes que j'ai fréquentés.
- De but en blanc, quelque chose censé être plus "personnel": avoir un orgasme. Là non plus, je ne sais même pas ce que c'est. Tout au plus quand je suis seule, j'arrive à provoquer une petite décharge électrique qui me soulage de mes envies sexuelles. Il paraît aussi que le sexe, ça peut durer tout un après-midi voire plus avec son ou sa partenaire et que ça peut être vraiment très bien, magnifique etc. Moi mon record doit être d'une heure, après je trouve ça vraiment long, sans plus d'intérêt et je suis fatiguée...
- Enfin, plus globalement, grâce à cette amie j'ai réalisé que je ne suis capable de ne ressentir que les plaisirs et les déplaisirs de surface: les émotions profondes telles que la joie, la plénitude, la douleur, la peine, l'inquiétude pour autrui...me sont inconnues. Disons que basiquement, je suis contente de manger une pizza devant un film ou que ça me gonfle que le phare de mon vélo tombe en panne, mais ça s'arrête là.
Tout cela a des effets pervers sur mon comportement depuis des années. Notamment:
- Je vis par procuration. Je baigne dans un tel ennui que je cherche à provoquer les sentiments des autres pour pouvoir enfin ressentir quelque chose. Chez un de mes anciens copains par exemple, je me suis ainsi "amusée" pendant des années à le rendre tour à tour joyeux, jaloux, triste, passionné, me déclamant des phrases dans des soupirs, désespéré...Sans aucun remord de le "manipuler" comme cela. Comportement que je continue à avoir dans mes rapports amoureux et amicaux aujourd'hui. Et tout cela alors qu'aux dires des autres, je suis censée être d'un "naturel" gentil et empathique. Souvent, j'en viens même à imaginer qu'il va se produire un événement extraordinaire, même un cataclysme que sais-je, enfin quelque chose...qui ferait bouger les choses, justement. Sauf que je sais très bien que le problème ne vient pas des choses extérieures à moi, mais de l'intérieur de ma tête ou plus exactement de la façon dont je perçois ces choses. C'est mon regard qui est vicié sur les événements et ce qu'il y a autour de moi, et non ces derniers en eux-mêmes qui sont viciés -> cf. ce que j'ai dit sur la joie, qu'apparemment on peut ressentir ne serait-ce qu'en regardant un brin d'herbe! Pas besoin d'aller faire le tour du monde pour trouver un intérêt aux choses en temps normal à ce qu'il paraît...
- Je me réfugie dans la boulimie pour atténuer un peu le sentiment d'angoisse diffuse que je sais à présent ressentir en permanence en éprouvant un peu de plaisir gustatif...
Il me semble que cet état global est dû à des mécanismes de fuite. En effet je suis littéralement morte de trouille à l'idée d'affronter la vie, les choses, les gens, même si je m'ingénie depuis quinze ans à refouler cette peur au plus profond de mon être, rien à faire, je sais qu'elle est là et qu'elle est au cœur de mon angoisse. Et ces dernières années n'ont été occupées chez moi qu'à multiplier les stratégies de fuite pour éviter d'entrer dans l'âge adulte. Or, c'est tellement un sport de haut niveau chez moi depuis mon plus jeune âge que je pense que je me suis volontairement insensibilisée pour éviter d'avoir à ressentir et de me confronter à des réalités trop douloureuses. J'ai préféré la fuite dans le non-ressenti et la nourriture plutôt que de faire ma crise d'adolescence et de souffrir. Le problème, c'est que depuis la vie a perdu graduellement toute saveur et que je suis tombée en dépression grave, et que suite à mon état j'ai été encore davantage brimée par mon entourage familial pendant des années et que même si j'ai un peu récupéré, émotionnellement néanmoins je suis tombée dans un état d'insensibilité encore plus grand que mon état pré-dépressif de toujours. Et je ne sais pas du tout comment réappuyer sur le bouton "on".
Ma question suite à ce long exposé est la suivante: y a-t-il des personnes ici ayant subi une "anesthésie" comparable à la mienne sur des années voire plus? Qui sont en dépression, ou du moins "bloqués" émotionnellement, depuis leur adolescence ou leur enfance? Qui s'en sont sorties, et comment? Ou qui ont simplement des pistes pour aider à se "réveiller" émotionnellement? Personnellement j'ai l'impression qu'un camion pourrait me passer dessus ce serait pareil - d'ailleurs plusieurs me sont déjà passés dessus sans que ça ne m'affecte. Je précise que quand je serai enfin installée dans un chez-moi, je compte faire une psychanalyse car c'est le seul moyen que je trouve assez radical pour avoir une chance de mettre à bas toutes ces murailles d'insensibilité et de fuite que j'ai dressées autour de moi pour me protéger depuis mon enfance. Mais en attendant, tous les conseils sont les bienvenus pour trouver encore une motivation et un intérêt à essayer de vivre réellement (et non plus à essayer de donner le change comme à l'accoutumée) et à accomplir des choses, parce que j'en suis à un point où avec mon océan d'ennui qui s'est aggravé au fur et à mesure des années, je suis tombée dans une passivité totale de plus en plus résignée...
Une bonne soirée à vous tous et merci d'avoir pris le temps de me lire,
Luar
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